Critique Ciné | Birdman

Boom, tchak, boom-boom, tchak, boom, tchak, boom-boom, tchak…Le générique de début suit le rythme des cymbales et d’une batterie. Le tempo et le ton sont donnés. Birdman or the unexpected virtue of ignorance est prêt pour son départ dans la folie, la sueur et l’enivrant parfum des rues de Broadway. Les quatre Oscars sont-ils mérités ? Que vaut donc ce fameux film ? Les deux heures de bobines vont me donner le verdict.

Riggan Thomson, ancien acteur de blockbusters hollywoodiens à succès, a du mal à se défaire de son image de superhéros qu’il a acquis auprès de fans virulents. Mais la célébrité lui manque. Il va donc faire d’une pierre, deux coups. Il veut se défaire de son image étiquetée, et veut faire d’un roman une des meilleures pièces de Broadway, qu’il mettra en scène et dans laquelle il jouera.

Sur le papier, l’histoire n’a pas l’air fort originale. Le monde difficile du théâtre et du cinéma, dans lequel un homme confond par moments fiction et réalité, c’est du déjà-vu. Certes. Mais ce n’est pas là ce qui fait vraiment l’intérêt de ce Birdman. C’est surtout son aspect technique. En effet, presque tout le film nous donne l’impression d’un seul et unique plan séquence. La qualité d’exécution et la fluidité des mouvements contribuent donc à vivre en temps quasi réel avec les différents personnages de cette pièce de théâtre, voyageant ainsi d’un point de vue à l’autre sans gêne. On pourrait donc croire que le film perd de l’empathie pour ses personnages de par la multiplicité des points de vue, mais loin de là, je vous rassure.

Le tout est fait intelligemment, et emploie de manière très subtile les effets spéciaux les plus classiques du cinéma, pour faire par exemple des ellipses, sans faire l’habituel fondu au noir. Cet énorme plan contribue donc à suivre la vie très mouvementée de cette ruche, qui bourdonne d’évènements et de retournements de situations loufoques. Le tout en nous mettant dans la peau des personnages lors de certains passages en vue subjective ; plusieurs personnages interagissant donc directement avec le public. Mention spéciale au véritable Birdman (le superhéros), qui n’hésite pas à nous faire la morale en nous regardant droit dans les yeux. Difficile également de vous le faire comprendre par écrit, mais toute cette agitation, ces déchirements, ces tristesses et ces moments de gloire sont démultipliés pour le spectateur, réellement placé au cœur des évènements. Autant vous dire que certains moments forts risque de vous marquer, car ils ne manqueront pas de vous coller au fond de votre siège. Mais bien que le film soit émouvant, il parvient aussi à nous faire rire, via de nombreuses situations cocasses. Le ton est presque à la parodie à certains moments, mais ici, il est maîtrisé de bout en bout. Une grande maestria technique et visuelle.

Je parlais au départ d’un scénario pas très original, mais bien sûr, ce n’est qu’un bête résumé. Le film est bien plus complexe et profond, dans les thématiques qu’il aborde. En dehors des principaux, Alejandro Gonzalez Inarritu et ses co-scénaristes parviennent à nous toucher, via quelques thèmes de la vie importants, qu’ils ne font qu’effleurer, mais mis en scène avec justesse. Le rapport aux technologies, les blockbusters, les critiques des grands journaux, la famille que l’on délaisse pour la gloire, …

Très sincèrement, en sachant avant de voir le film que tout ne se passerait qu’en un seul plan, j’avais peur de retrouver un jeu d’acteur pas toujours au maximum de ses capacités. Ce fut une erreur. Bien que le placement de la caméra contribue à nous faire ressentir des choses, un film peut vite se retrouver sans âme avec de mauvais acteurs ; mais ce n’est pas le cas ici. Michael Keaton mérite son Oscar. Et le reste du casting n’est pas en reste. Emma Stone est splendide, Zach Galifianakis est toujours aussi drôle et déjanté, Edward Norton en acteur pervers est saisissant, et tous les autres (Naomi Watts, Andrea Riseborough, Amy Ryan, Lindsey Duncan pour ne citer qu’elles) parviennent à rendre l’univers très cohérent et sincère. Du grand niveau.

A la composition on retrouve…un inconnu au bataillon : Antonio Sanchez. Un batteur apparemment assez connu du milieu. Il a toutefois fait un travail magnifique. Presque tous les morceaux se sont faits à la batterie, mais on retrouve aussi des morceaux plus “classiques” et d’une belle légèreté. Je n’ai malheureusement pas su retrouver le nom des autres compositeurs. Vous me pardonnez ? Bref, le tout s’accorde parfaitement à l’atmosphère du film.

Mais alors, qu’est-ce qui ne vas pas dans Birdman ? Honnêtement, j’ai du mal à lui trouver des défauts. Bien sûr, il ne plaira pas à tout le monde. Certains pourraient ne pas aimer que tout soit fait en presque un seul plan. Cela peut déranger. Mais on ne peut nier que cela apporte un peu de fraîcheur à tous ces films américains à grands budget. Le procédé apporte des sensations nouvelles, et on ne peut que saluer le travail accompli. Alors, difficile à dire ouvertement que oui, il mérite tous ses Oscars (comment juger qu’Alejandro est le meilleur réalisateur ? Sur quels critères se base-t-on ?), mais ce qui est certain, c’est qu’il ne les a pas volés. Et après tout, le cinéma n’est pas une science. Juste une histoire d’émotions. Ce qu’arrive à faire parfaitement le film.

Remerciements à : Michael Bialocur et Olivier Deboit.